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REPORTAGE   de Gabriel Nedelec

 

 

 

 

“Je suis le dernier des Mohicans”, lance fièrement mais amèrement Zef, le patron emblématique de ce bar de Denain, situé dans l’ancien quartier ouvrier, entre la friche industrielle désertée et le terril n°162, vestige de la mine dans laquelle Zola est descendu pour écrire Germinal.

Cela fait trente ans qu’il est taulier dans ce bistrot à l’effigie de Fabien Gilot,
un gars du coin et ami du patron. Les photos et les dédicaces du nageur ornent les murs et forment une sorte de décoration thématique dans ce bar fréquenté par des ouvriers, mais surtout des habitués. L’accueil y est chaleureux, malgré le froid du mois de janvier. 

 

 

Notre diaporama sur Denain : 

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Derrière son comptoir, Zef a eu le temps
de voir sa ville se transformer.

 

“On était une centaine de bistrots
à l’époque, on est plus que 13 ou 14”,

lance-t-il en donnant un coup
de menton en direction d’un bar
sur le trottoir d’en face, visiblement
fermé depuis longtemps.  

L’histoire de Denain est celle de bon nombre de bourgs du Nord. Ville industrielle, elle a d’abord bénéficié d’un riche gisement de charbon sur lequel elle s’est développée et a prospéré jusque dans les années 1950. Après la fermeture des mines, l’industrie de l’acier a pris le relais. Usinor a fait vivre des milliers d’ouvriers une trentaine d’années supplémentaires. 

 

“Au plus fort, il y avait près de 10.000 ouvriers qui y bossaient”, se souvient Zef. A Denain, dans chaque famille il y a quelqu’un qui a travaillé pour le groupe sidérurgique français, devenu Arcelor
en 2001. 

Mais la fermeture du site en 1978 sonne le glas des années d’opulence de la ville, comme une mauvaise blessure met fin à la carrière d’un sportif. 

 

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La maire PS a tiré la sonnette d’alarme en septembre dernier,
réclamant "une intervention massive du gouvernement en urgence".

Au tableau déjà noir de Denain, Anne-Lise Dufour rajoute un chiffre qui prend des airs d’ultimatum :
l’espérance de vie dans la ville serait de 58 ans, contre plus de 80 en France.

Les calculs sur l’espérance de vie sont toujours délicats, mais le message est là :

Denain est à bout de souffle. 

 

L’appel de la socialiste n’est pas resté sans réponse :

plusieurs ministres ont défilé fin 2016 dans la petite commune.

Bernard Cazeneuve, Patrick Kanner, Emmanuelle Cosse…

Tous trois ont tenté de montrer que Denain n’était pas un territoire oublié de la République. 

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Mais c’est peine perdue auprès des habitants qui ruminent la gloire passée de leur ville quand “tout Valenciennes venait faire la fête à Denain”, se rappelle André, venu siroter un pastis à l’heure du déjeuner.

Pour les habitués du bistrot de Zef,

les pouvoirs publics n’ont pas su “anticiper” l’avenir de Denain après la fermeture de l’usine nourricière.

 

Cet échec, ils l’imputent aussi bien à la droite qu’à la gauche. Ni l’une ni l’autre n’a su revitaliser la ville et lui redonner son attrait, avancent-ils.

 

“Il faut faire venir des entreprises,

il faut des investissements, de la relance ! On a besoin d'aide par ici, il y a un vrai ras-le-bol, tranche

un autre client accoudé au bar. 

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Et bien évidemment, ce ras-le-bol, le Front national en récolte les fruits. Dans la région,

la dynamique du parti d’extrême droite semble presque implacable. En 2015, Xavier Bertrand a arraché de haute lutte la présidence des Hauts-de-France face à une Marine Le Pen à plus de 40% au premier tour. A Denain même,
le score de la présidente
du FN était de 47%.

 

En juin, Régine Andris doit mener la liste FN locale aux législatives au côté de Sébastien Chenu, conseiller régional et jeune loup du parti, qui espère faire de Denain son fief, à la manière d'un Steeve Briois à Hénin-Beaumont. Selon elle, le Front national est attendu avec impatience. 
“La permanence n’est même pas officiellement inaugurée et pourtant les adhésions se multiplient. Dans le département, je suis connu pour être la meilleure en termes d’adhésion et de renouvellement”, affirme fièrement cette ancienne coiffeuse âgée 
de soixante-sept ans.

 

Sur l’heure que nous passons dans sa permanence, cette conseillère municipale d’Abscon, une ville voisine, a reçu deux appels de personnes qui souhaitent connaître les modalités pour adhérer, et en accueille trois autres venues directement prendre leur carte sur place.

 

 

 

C'est le cas d’André, accompagné de sa femme, qui veut "faire enfin changer les choses". En citant, comme premier symptôme du mal de la région, l’immigration.

 

“A la mairie, ce sont des musulmans qui marient des Chrétiens, lâche-t-il. Dans la rue principale, il n’y a plus que des kebabs
et des coiffeurs 
tenus par des arabes.
Et maintenant, on a des Roms”
.

 

La ville de Denain possède effectivement
une forte communauté maghrébine venue
travailler dans les usines dans les années 1960.
Les Roms, de leur côté, ont commencé

à arriver depuis deux ans, attirés par des marchands de sommeil, selon la mairie.

Ils seraient plus de 500 aujourd'hui.

 

Les logements, vacants du fait de l'effondrement de la population, sont rachetés une bouchée de pain par quelques propriétaires peu scrupuleux qui louent ces biens dans des conditions déplorables, accuse encore la mairie.

 

 

L'industrie automobile, qui compte trois usines dans la région, et les plates-formes logistiques de transports, ouvertes récemment, n'offrent pas suffisamment d'emplois. La population s'accroche aux aides et aux petits boulots pour survivre. 

 

Guillaume, père de famille, est au chômage depuis cinq ans. Pour lui, sa femme et ses deux enfants, chaque euro compte. Il tient des cahiers d’écolier, où toutes les dépenses et rentrées d’argent sont consignées avec une minutie digne d’un expert-comptable.

 

“Je sais en permanence exactement combien il nous reste pour le mois”.
Lui et sa femme vivent des minimas sociaux et de tous les petits jobs
qu’ils réussissent à trouver.

 

“Avant, je faisais beaucoup la ferraille. Mais je ne peux plus aujourd’hui, les Roms sillonnent la ville 24h/24 en camionnette.”

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L’une de ses sources régulières de revenus, ce sont les courses... Il est adhérent d’une association qui fournit les courses à pied ou cyclistes en personnel de sécurité. Parfois, il fait aussi chauffeur, ce qui lui rapporte un peu plus d'argent. 

 

 

Mais l’association qui les emploie est prise d’assaut par de plus en plus de personnes en quête de compléments de revenus. Résultat, les sollicitations se font plus rares. 

 

 

Ces solutions, ce ne sont pas les pouvoirs publics qui les lui procurent. Il n'attend d'ailleurs rien de l'élection présidentielle pour laquelle il n'ira pas voter. A l'inverse, il a parfois l'impression qu'on lui met des bâtons dans les roues. 

Pour conserver ses précieuses allocations, Guillaume doit très régulièrement justifier sa situation auprès de Pôle emploi. Et cela passe par des démarches presque absurdes quand elles ne sont pas humiliantes. Comme ces formations que l’organisation l'oblige à suivre.

 

“Tous les ans, on me fait venir pour une "formation CV et tous les ans, on nous fait faire un CV différent. C'est complètement idiot. Ca ne m'a jamais permis de retrouver du travail, lâche, amer, celui qui réclame du "boulot" plutôt que des formations.

 

 

Pas sûr que le département l’entende de cette oreille. Le 21 février, le département qui compte le plus de bénéficiaires du RSA (115.000) a durci son contrôle auprès des allocataires afin de sanctionner ceux qui ne seraient pas en règle.

 

Malgré ces déboires, Guillaume veille à ce qu’il y ait toujours à manger pour sa famille. Quitte à exagérer : "J’ai deux congélos remplis de viande," clame-t-il fièrement. "Je vais deux fois par jour dans les supermarchés pour avoir les meilleurs prix".

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Cindy aussi veut subvenir à tous les besoins de sa fille.

C’est une mère poule seule qui,
dès la naissance de sa fille, a préféré abandonner son travail pour se consacrer à elle plutôt que de prendre une nourrice. Une décision qui, elle l’avoue, tient aussi à sa peur de s’éloigner d’elle. Mais ce choix de vie 
a un prix :

 

“On survit grâce aux allocations et aux aides”, dit-elle. Bien sûr, on ne peut pas s’accorder beaucoup de distractions”.
Ni beaucoup de confort. Dans cette petite maison d’ouvrier mal isolée, c’est à peine
si le chauffage est allumé. En cette fin 
janvier, il fait terriblement froid,
la mère et la fille portent toutes deux plusieurs couches de vêtements, sans
que cela leur semble être hors normes.

Ses attentes à elle se porte sur le statut
de parent isolé.

Comparer aux couples qui peuvent s’arranger pour prendre soin alternativement de leurs enfants, elle n’en a pas la possibilité. Elle réclame un statut spécial pour les parents isolés et des aides spécifiques.

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La famille, c'est aussi la priorité d’Anthony, vingt-cinq ans. Il a eu son premier enfant à seize ans avec la femme qui partage toujours sa vie.

 

Sans diplôme, il va de contrat d'intérim en contrat d'intérim pour pouvoir donner "un peu plus" à ses deux enfants. Mais ces périodes de contrats parfois très courtes peuvent avoir des conséquences calamiteuses pour ses finances.

 

 

 

 

 

Qu’à cela ne tienne, ce père de vingt-cinq ans persévère, persuadé que c’est par le travail qu’il s’en sortira. Depuis quelques mois, il travaille dans un garage solidaire qui offre des boulots temporaires à des chômeurs en vue de leur remettre le pied à l’étrier.

 

Aujourd'hui, Anthony veut devenir routier pour l’une des plates-formes logistiques ayant ouvert ses portes près de Denain. Ce travail au garage devrait l’aider à obtenir une aide financière pour passer son permis poids lourd qui coûte 2.500 euros. Jusqu’à présent, le conseil régional n’a pas satisfait sa demande.

 

C’est l’espoir d’une situation meilleure qui le fait tenir. Il se donne un an pour décrocher l’aide de la région. Depuis qu’il travaille, lui et sa femme ne sont plus éligibles au RSA. Avec les quelques aides auxquelles ils peuvent encore prétendre, Anthony gagne à la fin du mois à peine 300 euros de plus que s’il restait chez lui. Mais cette situation ne pourra pas durer indéfiniment, dit-il. “Qui voudrait travailler 20 heures par semaine pour 300 euros par mois?” s’interroge-t-il. 

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Denain broie du noir

Dans le centre, cette nouvelle population ne passe effectivement pas inaperçue. André s'insurge contre
ces gens qui, au choix, "profitent des allocations, magouillent, prennent le travail des autres".
André enrage pour son fils, qui est au chômage.
Pour sa part, il est employé dans un abattoir.
Du côté belge de la frontière. 

Les attentes des Français

“Vingt ans avant, ils devaient savoir que l’usine allait fermer, dit le patron. Mais ils n’ont rien fait. La friche a été complètement laissée à l’abandon.

Il y a eu quelques tentatives, 
des petites entreprises.

On est passé en zone franche,
mais Denain n’attire plus.”

“Quand je travaille et que je dépasse
un certain seuil 
de revenus sur un mois, on coupe mes allocations et celles
de ma femme parfois pendant 4 mois. Peu importe si je n’ai travaillé
que 2 semaines et que je ne réussis pas à retrouver du travail sur les quatre mois. C’est absurde”.

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6.000 personnes ont perdu leur emploi du jour au lendemain, en plein mois de décembre. En quarante ans, la population de la ville s’est effondrée, passant de 27.000 dans les années 1970 à moins de 20.000 aujourd’hui.

 

La ville a été désignée parmi les plus pauvres de France en 2010.

 

Le taux de chômage dépasse

les 30%. Le revenu moyen par habitant est de 800 euros. 

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